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Tai chi chuan, Qi Gong, Sophrologie, méditation, respiration... Des pratiques au service du corps et de l'esprit

Pédagogie et arts martiaux

photo de Sensei Robert Rodriguez 7ème dan Kyoshi Iaido Z.K.N.R

photo de Sensei Robert Rodriguez 7ème dan Kyoshi Iaido Z.K.N.R

APPRENTISSAGE ET ENSEIGNEMENT

par Malcolm Tiki Shewan,
-extrait du livre "Iai, L'Art du Sabre Japonais"


Bien qu'ayant expliqué dans la Préface que toute connaissance livresque était insuffisante, je crois cependant qu'il existe une relation certaine entre la compréhension par le"mental" et là compréhension liée à une pratique du mouvement. De plus, cette relation serait mieux comprise qu'elle ne l'est actuellement si on en donnait une explication satisfaisante.



L'enseignement "oriental" est fort justement fondé sur l'apprentissage lié à "l'exécution des mouvements". La méthode utilisée comporte donc différentes phases : démonstration magistrale, répétition par les élèves, corrections du professeur et ce jusqu'à obtention d'un mouvement aussi proche que possible de celui démontré. On considère généralement qu'un travail suffisamment long et assidu devrait permettre d'acquérir ensuite la compréhension supérieure nécessaire à une maîtrise de l'art. Cette compréhension supérieure qu'un autre maître discerne immédiatement, fait la différence entre les plus hauts niveaux d'acquisition dans les Arts Martiaux. Un maître saura reconnaître une perfection qui n'est que technique et une perfection liée à la compréhension de l'esprit de l'art.

Depuis que j'ai le privilège d'étudier et d'enseigner l'aïkido et le iaïdo, on m'a continuellement demandé d'expliquer "par des mots" ce que je faisais. Deux faits me sont clairement apparus :

  • - Les sens cherchent toujours une explication à leur travail.
  • - Ils pensent, munis de ces "explications", pouvoir progresser plus rapidement.

J'en suis arrivé à la conclusion que ces explications ne permettaient que rarement aux élèves d'assimiler mieux et plus vite. J'ai donc examiné le processus de l'apprentissage et celui de l'enseignement et j'ai été amené à faire quelques observations intéressantes :

  • - L'enseignement par l'explication est rarement efficace car les paroles sont souvent impuissantes pour décrire la réalité des mouvements. Dans le meilleur des cas, l'élève ne serait de toute façon, pas capable d'en comprendre le sens. Cette situation est due au fait qu'il ne semble pas exister un vocabulaire spécifique lié à une conception de la globalité de l'homme.

Je fus amené à me poser deux questions :.

  • Existe-t-il une connaissance suffisante de l'homme et de son fonctionnement ?
    Quels sont les rapports entre son physique, son mental, son affectif... ?.
    Mon expérience et mes observations personnelles me permettent-elles d'entrevoir une solution ?


Je tairai pour l'instant mes réponses à ces questions Qu'il me soit permis cependant de tenter ici quelques réflexions personnelles capables de résoudre le décalage exaspérant entre "l'explication" et la "performance".

  • - L'explication est du domaine du concept, de l'idée. Les "mots" sont les intermédiaires nécessaires. L'ensemble fait appel au fonctionnement du mental, de l'intellect;
  • - La performance est du domaine du mouvement de forme complexe ou composé d'unités plus simples.

Mais quelles sont les "paroles" du mouvement ?
La capacité d'observer, de saisir et éventuellement d'imiter. L'ensemble fait appel au fonctionnement du physique. Voilà en fait une description très simplifiée de deux (intellect et mouvement) des multiples fonctions de l'homme : mais ce sont les deux fonctions qui nous intéressent ici.

Je voudrais maintenant vous faire partager quelques points de vue, apparaissant peut-être comme de "nouveaux" concepts, difficiles à saisir si l'on n’y prête pas une attention toute particulière mais qui, je l'espère, vous inciteront à pousser plus loin votre recherche de l'information et de la connaissance

Il s'agit donc de s'interroger sur le phénomène de "l'explication" qui, dans la plupart des cas, n'accélère, ni n'améliore la faculté d'exécution. Ce ne sont pas mes observations qui importent le plus mais surtout ce qui en est à l'origine nous touchons ici au point essentiel.

Apprendre pour s'améliorer requiert une faculté particulière d'observation de ses mouvements, c'est dire combien il est nécessaire d'apprendre à observer. Ainsi lors de l'apprentissage d'un mouvement nouveau, l'élève essaie de reproduire ce qu'il a compris ou vu. En fait il reproduit autre chose lors d'une explication parce qu'elle est donnée au moyen de concepts et selon un processus intellectuel non encore dominé - Il en va de même lors d'une démonstration parce que sa gamme de mouvements simples ou complexes n'offre aucun point de comparaison avec celle du professeur.

Par la suite, l'élève peut, certes, se forger des concepts et idées assez satisfaisantes pour lui. Mais comment le professeur pourra-t-il s'en assurer? Il ne pourra que juger des résultats.

Le rôle du professeur sera plus aisé lorsqu'il lui faudra juger la qualité d'un mouvement d'après démonstration. C'est donc à cet aspect de l'enseignement je veux surtout m'attacher. Deux seules possibilités : l'éléve imite le mouvement soit de façon incorrecte, soit de façon correcte. Dans ce dernier cas, il aura acquis, s'il continue en ce sens, tout ce qui pouvait lui être enseigné.

En fait le problème de l'enseignement et de l'apprentissage est lié au temps que met l'élève pour passer du stade où il ne sait pas comment reproduire un mouvement à celui où il sait. On peut supposer que: tout mouvement exécuté sans explication préalable sera incorrect. Même si l'élève est satisfait, le mouvement peut ne pas être correct, auquel cas, le temps et l'effort n'auront pas atteint le but recherché : un mouvement absolument juste. Ce qui revient à dire que dans toute exécution il peut y avoir quelque chose de juste et quelque chose de faux. S'il poursuit dans ce qui est juste il tendra à la perfection S'il poursuit dans ce qui est faux, quelque conscience qu'il en ait, il lui faudra (ultimement) désapprendre.

Ce problème d'un mouvement juste ou faux soulève une question intéressante : celle du choix éventuel du pratiquant à un mouvement donné, choix qui ne peut s'opérer qu'à deux conditions

  • - que le pratiquant soit en mesure d'observer son propre mouvement;
  • - qu'il, soit en mesure de reconnaître un mouvement faux d'un mouvement juste.

Toute la puissance d'observation lors d'un effort de concentration est portée sur les sensations liées au mouvement et à ce stade, une bonne observation permet de démêler ce qui est juste de ce qui est faux. L'idéal serait de se comporter comme si de ce mouvement dépendait toute notre vie et que ce soit là la seule possibilité offerte. Grâce à cette forme d'observation toute particulière et par une simple répétition, le pratiquant peut distinguer, parmi les sensations, celles qui sont le fait d'un mouvement juste et celles qui ressortissent à un mouvement faux.

L'élève capable de faire cette distinction réussira par la suite à s'améliorer par ses propres moyens. C'est rarement, trop rarement le cas, malheureusement, dans la pratique actuelle. A preuve, l'exemple suivante : "placez votre pied bien en vue, et essayez de bouger vos doigts indépendamment de côté, vers le haut, vers le bas. etc." Cet exercice semble irréalisable pendant quelques instants car aucune sensation ne permet d'identifier les mouvements musculaires exigés pour bouger les doigts des pieds dans n'importe quelle direction (et pourtant le gros orteil et le petit doigt sont capables de mouvements indépendants). Au bout d'un certain temps des sensations distinctes liées à des mouvements précis commencent à être perceptibles des efforts continus permettent alors de coordonner sensations et mouvements. Tant que ces efforts seront maintenus, le mouvement sera correct. C'est le rôle du professeur, en Aïkido et en Iaïdo de lier la sensation juste, au mouvement juste. Si tout l'enseignement allait dans ce sens, il en résulterait des mouvements hautement perfectionnés acquis en un minimum de temps. Plus de temps perdu à corriger des élèves peu conscients de ce qu'ils font ou à empêcher l'intrusion de l'incorrect dans le correct.

Le maître, le plus célèbre soit-il, ne saurait faire progresser ses élèves s'ils n'apprennent pas à devenir conscients. Ces remarques visent à suggérer le moyen par lequel ces obstacles peuvent être surmontés.

  • - Dans la pratique un élève commence par des mouvements partiellement justes et partiellement faux . Ils ont été généralement utilisés à d'autres fins. Ainsi, on sait lever le bras pour mettre son chapeau, se gratter la tête ou couper du bois, mais aucun de ces mouvements n'est approprié au geste de lever le sabre au-dessus de la tête. Il en résulte que ce qui est ressenti comme naturel dans un mouvement est sauvent faux car, correspondant à d'autres finalités.


A ce niveau, l'observation de soi ne peut s'exercer que sur des mouvements très simples, tels que enfoncer un clou, couper du bois, et, en Aïkido ou Iaïdo, sur Shomen-uchi, suburi, tai-so de base, sur les mouvements simples de la main (te-sabaki, tai-sabaki,ashi-sabaki), Rei-Shiki (l'étiquette)... etc.

Ceci dit, la valeur de cet exercice d'observation repose sur la simplicité du mouvement. L'intensité de l'exercice aide à la compréhension et la persévérance permet d'en saisir l'essence même, ses relations avec les autres exercices et les émotions liées, à priori imperceptibles. Et quand la notion toute entière de ce que cela implique commence à s'éclairer, le fossé entre explication et exécution se rétrécit et s'ouvre la Voie qui mène de l'élève au maître.


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